Qu'y a til de La Sagesse dans un film qui marquerait ses spectateurs au fer rouge ?

 

Un débat houleux sur le film de Joel Santoni : Mort un dimanche de pluie. Voici les commentaires de La sagesse de L'image

Marguerite  :

Le titre annonce le programme du genre il fallait s'y attendre mais, est-ce un film d'art & essai comme il est prévu de présenter au ciné de la Sagesse de l'image? Vous me direz s'il a pour vous cette dimension, en dehors du fait d'être la découverte d'un film inconnu d'un auteur si peu connu. 

Elise : 

Un film à La Sagesse : pour moi, il suffit qu'il soit suffisamment riche, tant sur le fond que sur la forme, pour que l'on puisse en débattre, mais aussi partager des émotions diverses, des points de vus différents. Je pense que c'était le cas de ce film... Je ne suis pas fan des thrillers mais quand ils sont suffisamment bien fait pour capter l'attention et toucher nos émotions, je prends... ☺ Quant à la classification "Art et Essais" elle est très subjective : des films très différents peuvent si retrouver. Je ne saurais pas lui donner une définition précise par contre je sais ce que ce n'est pas : l'Art et l'Essai c'est l'inverse du cinéma grand public. Or, je ne pense pas que le film de mercredi soit un film grand public (quel a été son succès à sa sortie ?). Merci pour ces choix divers et cette possibilité d'en débattre, Bonne journée.


Julien :
Je suis ravi que ce film suscite autant de réactions. Le débat n'est il pas au centre de l'ADN de la sagesse de l'image ? Et pour moi l'intention est de proposer une diversité de films et pas limiter à un style précis, art et essais en l’occurrence. Pour préciser le message d'Elise l'art et essai est pour moi avant tout lié à la singularité d'un regard, d'une sensibilité quelque soit le genre ! C'est également un " label" de salle éligibles à des financements dans le but de diffuser et valoriser le cinéma indépendant (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Cinéma_d%27art_et_d%27essai ).

 

Denys : 

Le débat étant ouvert je livre ma contribution. Il y a différentes approches à propos de la sélection des films et ne connaissant pas les critères de la Sagesse de l'image, je reste prudent sur mon ressenti personnel. Le principe de présenter des films qu'on n'a pas l'habitude ou l'occasion de voir me semble pertinent. Le label "art et essai"ou film d'auteurs par rapport à l'industrie cinématographique commerciale, sans être un "corset" imposé me semblerait convenir, tout en étant possible d'en sortir à l'occasion car un film grand public peut aussi présenter un intérêt. Personnellement "Mort un dimanche de pluie" m'a donné l'impression d'un film de série B avec de très bons acteurs, mais il n'est pas rare d'avoir vu de bons acteurs jouer dans des "fours et navets". J'ai eu l'impression d'un film pour adolescents qui y vont pour se faire peur comme ils iraient au train fantôme, c'est vrai qu'à ses débuts le cinéma était une attraction foraine. Bon mais l'essentiel c'est que d'autres personnes y aient vu un intérêt et il en faut pour tous les goûts bien entendu. En tout cas merci pour vos prestations le débat reste un moment enrichissant.

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 Danielle :

Bonjour à tous, Empêtrée toute la journée de mercredi dans des problèmes matériels, je comptais sur ce film pour me changer les idées... certes, les idées furent changées, mais le calme non revenu... Si, certes ce fut intéressant de retrouver JP Bacri beaucoup plus jeune, entouré d'acteurs très bons aussi, le sujet et la forme m'ont profondément révoltée. "Bousculer les bourgeois" a-t-il été dit... la complaisance du sadisme montré et démontré sur une enfant (entre autres) ne bouscule que les bourgeois sans doute... Les victimes d'un système n'ont d'autre solution politique que de se venger des responsables connus de leur infortune, de la manière la plus barbare qu'il faut absolument nous montrer avec insistance et complaisance, sans jamais la suggérer... le spectateur est supposé ne pouvoir imaginer ce que cela implique.... envahi par des images d'une violence inutilement choquante, sa conscience politique doit se développer... Fera-t-il de même quand il sera lui-même victime? Depuis plusieurs années à la Sagesse de l'image, jamais je ne suis sortie avec une telle insupportation... Je n'ai jamais eu l'impression d'être cantonnée dans un genre : découvrant des films du monde entier, ou des films de réalisateurs français au regard singulier, des films qui se lisent à plusieurs niveaux, qui permettent aux spectateurs de réfléchir tant sur la forme que sur le fond, de ressortir enrichis de ce regard particulier...Oui, le cinéma indépendant, mais pas celui qui cherche à imiter (là en l'occurrence, pionnier, oui, je sais...) un cinéma commercial aux effets sanguinolents, peut-être est-ce un genre qui plaît à certains (pourquoi pas?), mais ce doit rester un choix personnel. Cela pose question dans une association où l'on est censé venir le plus régulièrement possible afin de créer une certaine culture commune. Bon, rien n'étant inutile, je ne resterai pas sur ce ressenti... J'apprécie aussi beaucoup les présentations et je suis sûre qu'un bon film me réconciliera avec nos rencontres du mercredi (même si je ne suis pas vraiment fâchée!!!)😊

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Julien :

Pour moi construire une culture commune ne signifie pas voir que des films,  aussi grandes que soit la palette, qui rassemble mais aussi ceux qui divisent tel que le fait celui-ci. L'insupportation que tu as ressenti ( et je la comprends profondément) fait partie de l'expérience de spectateurs et en cela ne doit pas rester un simple " goût personnel " mais vaut la peine d'être partager, discuter et accueilli.

Et d'ailleurs un film qui secoue autant que ce que peut faire celui-ci ( sans être d'une violence gratuite ou d'une bêtise crasse ) n'est il pas le signe d'un film réussi au sens où il accomplit son devoir d'interrogation sur l'humain  y compris avec ses côtés obscurs ? Sur le monde ? même si c'est avec un côté excessif et grand guignol qui peut paraître maladroit ou superficiel ( le propos politique n'est d'ailleurs pas le centre du film il est un fond, un décor, et plus sûrement encore une interprétation). La cruauté des personnages n'est jamais je trouve complaisante mais entre parfaitement dans un côté monstrueux et excessif au sens imaginaire des contes ( l'ogre et la sorcière), sataniste diront certains, plutôt que dans un réalisme autrement plus traumatisant que l'on peut trouver, par exemple, dans funny games de Hanneke ( bien que la sensibilité soit différente selon les gens je le reconnais fort aisément mais je veux discuter ici du sens plutôt que de l'émotion).

Après réflexion je ne trouve pas que ce film cherche à "choquer le bourgeois". D'abord comme je le dis plus haut parce que son propos n'est pas directement politique mais plutôt imaginaire avant tout. C'est une sorte de conte moderne avec son aspect symbolique qui caractérise le conte. La maison est comme le château des reines et rois dans les contes, les Bromsky un ogre et une sorcière qui n'aiment pas les gosses, envoient des sorts (l'aspect sataniste ou vaudou) et habitent une cabane-caravanne, Garcia et Bacri une reine et un roi en crise, le tout adapté au réalisme social caractéristique du cinéma français. Le monde des contes est en cela est assez cohérent avec le côté " train fantôme" et forain que souligne Denis avec justesse. 

Et oui ce film est une série B ce qui ne suppose rien de sa qualité. L'insuccé d'un film en salle, certains diront four, ne présuppose en rien de la qualité d'un film, certains grands succès publics pouvant être d'une navrante bêtise, quand à un jugement sur la qualité, navet diront certains, il en revient à chacun de juger selon sa sensibilité, sauf pour certains films qui en font la base assumée de leur écriture ( les films de Max Pecas par exemple se revendiquant d'une telle écriture et touchent pour cela au chef d'œuvre dans le style). Merci à vous tous pour vos retours positifs ou en colère et que vive le débat.
 

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Alain :

Il faut remettre les choses en perspective, le cinéma de Santoni, ce n'est pas celui de Kaurismaki, Bresson, Chabrol, Hitckock. Ou bien encore Luis Bunuel (Dans Los olvidados ou Nazarin par exemple les pauvres peuvent y apparaître cruels se retournant contre l'homme évangélique qui vient les aider..le mettant à l'épreuve de leur réalité ). Ou comme on l'a noté le cinéma italien depuis le néoréalisme jusqu'au années 80 sur la question politique et sociale. On ne joue pas tout à fait au même niveau.

Mort un dimanche de pluie n'est pas, sur une thématique de classe, au même niveau que le très abouti Parasites qui a d'autre moyens - Dans le film de Santoni le rapport de classe est un prétexte, sert d'argument plus rhétorique que politique. Contrairement à Bong Joon Ho dont le cinéma est politique, comme souvent chez les Coréens du Sud.

Ce cinéma de Santoni laisse des traces qui persistent encore et on peut,  ne peut pas le vouloir que le cinéma en laisse de nature quelque peu horrifique. J’ai pesté jadis contre Psychose de Hitchcock et contre Salo de Pasolini !! Jusqu’à ce que je propose une série d’intervention à des élèves de première je sur la filmographie de Cronenberg. Nous nous sommes aperçus de la haute puissance métaphorique de ses figures, d’autre part que chaque élève n’était pas horrifié aux mêmes endroits que les autres. Cela permet de relativiser et de voir la dimension de projection et d’interpellation singulière des spectateurs sur les films. La singularité au cinéma n'est pas que celle du film, c'est aussi celle de sa réception. En discuter est une façon de mettre un peu à distance e qui se passe en nous (la pulsion, l'émotion, la révolte, l’écœurement, les ambivalences... que cela suscite,

Par exemple je trouve intéressante la situation d’inconfort dans lequel Santoni nous met avec le personnage du jardinier - avec sa main ambivalente de fer et de carton - dans son dialogue avec l'architecte David/Bacri : "J'espère que vous me comprenez et c'est le principal" est le leitmotiv du personnage pot de colle, dont David ne sait comment s'en dépatouiller - et nous-même depuis le départ du film ... On tâtonne avec l'architecte sur les intentions du jardinier.. Nous sommes à la place de l'architecte, c'est à nous que le J'espère que vous me comprenez s'adresse ; dans la relation, la tension, le lien plastique qui s’instaure entre les deux personnages il y a un réel malaise. Alors que David lui est carré regarde droit devant lui son interlocuteur, il a une exigence, une honnêteté et une mauvaise conscience.

C'est ce cheminement dans lequel nous entrons. Dans le contrôle du mâle qui réussit, qui assure sa vie professionnelle contre sa vie sentimentale et famille "Tu veux toujours tout contrôler » reproche Hélène/Garcia à son David) - la bonne volonté est elle aussi battue en brèche, tout comme la pulsion de vie, la méfiance à l'égard du drôle de type et l’hyper-contrôle de David. C'est là où l'architecte revient vers sa femme et sa fille dans l'adversité contre la mort qui se rapproche. Tandis que les grincements envieux des pauvres gens, imitatifs des bourgeois, au contraire vont vers vers l'explosion du couple en le singeant de façon carnavalesque. Jusqu'à la mise à mort quasi sacrificielle du mâle. Entropie du couple, de classe et de ce mode de vie.

En terme de valeur on notera au final la solidarité enfantine et féminine entre les deux petites et la survie d'une femme et d'une mère. Le déroulé des événements y amène en nous tenant par la main dans la mécanique grotesque et stylisée de l'horreur. L’auteur ne s'est pas encombré de naturalisme voire de vraisemblance - ni même de faire coïncider sa mise en scène avec tous les codes des genres qu'il emprunte. Ce film est un mélange qui n'est pas de la bouillie. Les traits des éléments hétérogènes ne se fondent pas, restent dans leur tracé. Jusqu’à la scène de crimes ou d’horreur, la dernière partie, à partir de la scène la scène de drague étonnante de l’ogresse habillée en pouffiasse bourgeoise si j’ose dire. Là on fait des mélanges sur la palette. La dimension destructrice sadienne du grotesque carnavalesque du est très souvent attestée. Qui vient faire se confronter deux ironies de situation.

La subversion, on l'a souligné, vient de ce que Santoni juxtapose, fait se heurter des univers décalés. Tant au niveau social, des genres ou de la mise en scène. Le summum, l'acmé, de cette bousculade étant atteint, dans la rencontre en montage alterné entre d'un côté la chanson sensuelle, douce, des années 80 du chanteur de couleur, de l'autre côté la montée en charge de la cruauté portée, affirmée revendiquée  par des victimes transformées en bourreaux dans un retournement que rien ne justifie. De même que le ressentiment n'a pas de justification. Le film est subversif en ce qu'il déconstruit le règne de l'argent et l'ambiance soft des années 80. Il en fait une pétition à coup de hache. Quand on voit les films de Robert Bresson (non pas Un condamné à mort ou Pickpocket qui finissent bien, mais les autres, la sanction est bien plus âpre et violente.

Mort un dimanche de pluie renvoie-t-il dos à dos les deux termes d'une dialectique : celle de l'ordre, de la réalité d’un côté et de ceux qui en exprimeraient la contestation de cet ordre, tout au moins la vérité de son revers. Comme dans L'homme d'osier (Wriker man). En tout cas cela ne fait pas paradoxe. Certes on bouscule la doxa (l'opinion, les conventions, les codes), on y fait effraction. Mais pas d’au-delà de l'opinion, de proposition de retournement, d'un contre qui jouerait avec la proposition à revers (Para-doxa). Sur la question familiale, cela fait peut-être paradoxe d'une réalisation de Santoni à l'autre ? Ce film serait l'envers noir, d'autres films ou téléfilms? Car la négation suffit-elle à retourner le nihilisme ? Elle est la négation condition nécessaire mais pas suffisante. Et nous à la Sagesse de l'image nous sommes tendu par une ouverture. On pourrait dire un principe d'espérance. En même temps que par le réel qui nous guide. Sonder le négatif fait partie de la démarche. A condition de ne pas s’arrêter au simple constat (posture du cynisme) qui est toujours l'objet d'une interprétation et d'une imposition de la réalité, contre d'autres aspects. La question est bien est-ce que cela ouvre le débat ou bien est-ce que ça le ferme.

Il y a deux ou trois principes, pas plus, essentiels à la Sagesse de l'image : c'est qu'une interprétation n'en recouvrira jamais n'en annulera jamais une autre. Chacune est respectable. Nous ne faisons pas de la critique cinématographique comme au Masque et la plume. Nous faisons résonner le signifiant du film (sa forme) en nous. Et la réception du film par chacune et chacun est inattaquable. C'est notre subjectivité. Sachant que bien sûr nous varions, que nos sentiments sont multiples, contrastés sur un film, parfois sur un bout de celui-ci. Nous tournons à la fois autour du film objectif et autour la façon dont nous le percevons. Le réel existe il ne s’agit en aucun cas d'un "relativisme". Les gens qui critiquent le perspectivisme comme conduisant au relativisme se raccrochent à leurs bouées de valeurs. Craignant qu'ils ne puissent être emportés. Nous, au contraire, faisons confiance à nos perceptions, à nos intuitions, et nos pensées. Sachant qu'elles bougent, sont vivantes, vont à leur destin.

Devrions nous intéresser qu'à des objets filmiques modestes parce qu'ils seraient singuliers ? malgré le fait que nous n'avons pas forcément les mêmes goûts, peut-être devrions nous faire l'effort de voir un autre film de Joel Santoni ? Même s'il n'y avait pas d'unité dans sa filmographie, pour mieux cerner l'acte esthétique, son rapport au contexte politique économique et social. 1987 c'est quand même les années de la désillusion de gauche par exemple. La gestion de la crise, les prémisses qui frissonnent de la mondialisation, le passage du Léviathan étatique à celui de l'ultra-libéralisme. Santoni (une vengeance conduite par le ressentiment) est-ce le revers de François Ruffin ?