la séance "Fatima" au katorza (commentaires).



 Elise : 

"Fatima", un film que j'ai trouvé sensible et qui m'a bousculé, qui m'a fait réfléchir... Je là trouve belle cette femme, belle de sa force, sa résistance et de son regard de "maman" sur ses deux filles... ça m'a touché, sa relation avec son aînée et sa résistance face aux reproches de la plus jeune... Elle m'a fait penser à ma "maman" : Volontaire et Maternelle mais avec cette capacité à nous pousser vers la vie... Une super maman, toujours là...
Les personnages des deux jeunes filles sont très bien jouées aussi : l'aînée est en résistance avec les commères du quartier et doit malgré tout rester concentrée sur ses études... La 2ième, en pleine crise d'adolescence, elle est vrai, authentique, et ce n'est surement pas un rôle de composition.
La séquence ou Fatima parle de sa vie avec une collègue (dans la cafétéria désertée par les clients) : elle est importante aussi cette scène et en même temps je ne la trouve pas très réaliste : En général ce n'est pas aux collègues que l'on parle le plus facilement de soi...
Bref, un film qui me suit depuis quelques jours, qui fait écho en moi dans certaines situations... Un film marquant...

Alain : 

Le camarade usager du restaurant social qui avait déjà manifesté son plaisir dans l'après-midi avec le film Dans la vie , a pris à deux reprises au moins le micro au Katorza pour exprimer son enthousiasme en présence de Philippe Faucon. Marina aussi s'est exprimée.  J'ai moi-même fait quelques hypothèses sur l'incarnation et le flou et j'ai apprécié la réponse du réalisateur sur la captation des gestes de l'actrice amatrice qui joue Fatima. Ceci étant dit des flous d'arrière-plans il y en a d'autres dans le film et pas seulement au moment du conseil de classe. Je suis attentif à comment s'engage les choses et le film commence avec un portrait sur fond de flouté et un mouvement d’appareil assez sophistiqués dans un escalier. Ce n'est pas l’essentiel et ne disqualifie pas le film. Juste le temps de rentrer dans le récit et d'oublier la technique, puisque les acteurs continuent d'y exprimer leur substance (le cœur de l'esthétique de Faucon selon moi). Mais ce film comment dire est mieux écrit que les précédents, plus cinématogénique et on peut faire une différence entre la rectitude de la mise en scène de la direction d'acteur d'autre part, et d'une part, enfin cette "photogénie", ce n'est pas pareil.

En revanche on retrouve une constante - mais pince moi si je rêve - des films de Faucon : la création de hors-champ autour du personnage sur lequel on se focalise. Des parties des corps des autres personnages entrent dans l'écran sans qu'on ne sache à qui elles appartiennent et on entend leur voix. Cela construit l'univers du personnage comme un continuum à la fois relationnel et physique. Le corps signifiant aussi bien les individualités que la communauté des relations. En quelque sorte une expression positive de la notion islamique de "Uma" de communauté (des croyants). L'envers de la conception que s'en fait le pseudo fondamentaliste recruteur et à laquelle il se réfère de façon "fasciste". C'est ce que Fatima rétorque à son fils quand Ali ne supporte pas la présence d'une française de souche dans l'espace familial, qu'il se coupe, que le partage est pour tous. Partage de l'espace et donc des corps.

Concernant la valorisation du père (le mari de Fatima dont elle est séparée), sa non-disqualification habituelle, Faucon nous a dit que ça se passe ainsi dans la vie et que l'on caricature un peu la tyrannie patriarcale de la culture musulmane en gros. J'ai le sentiment au contraire que son cinéma est du côté de la non stigmatisation par principe. Simultanément à affirmer le féminin et à valoriser l'autorité dont les personnages peuvent être porteurs, et donc aussi l'autorité des hommes. Ce qui le différencie de bien d'autres approches, ce n'est donc pas qu'un effet de naturalisme. C'est aussi bien une attention fine au réel qu'une posture de sa part. Cette tension entre ces deux termes est d’ailleurs souvent relevée par les critiques du genre : c'est un cinéma à la fois sensible et démonstratif (je résume). Quoique d'apparence descriptive le point de vue est marqué. Celui-ci est cependant inextricablement lié à la façon dont la mise en scène nous conduit à pénétrer de façon extraordinaire l'existence ou la substance ordinaire des personnages. Il y a une intensité jamais démentie de film en film, qui personnellement m'amène aux larmes. Des larmes de joie aussi. Même la bande annonce exprime cette intensité. Il suffit de voir du film quelques plans pour la percevoir.

Dans le sens contraire de ce climat empathique cette mise scène amène une distanciation, tandis que Faucon protège ses personnages dans leur rôle social. J'aime autant son regard amusé que son énorme tendresse vis à vis de ses personnages. Amour humour et connaissance. Sachant que la distanciation passe aussi par la dénonciation. en effet la démonstration passe par des effets de réel abrupts qui peuvent laisser sans voix le spectateur. Et j'aime ce "sans voix" que je relie de façon à ce que le réalisateur dit de la personne qui a inspiré le personnage de Fatima. Ce sans-voix comme un cri en quelque sorte (son "Intifada") qui l'amène à écrire en arabe sous forme de chronique et de poésie. Comme Madame Bovary pour Flaubert, Fatima ce serait lui le réalisateur.

Autre exemple que nous avions noté dans Dans la vie de l'affirmation de l'autorité masculine : son entourage de voisines accuse la mère musulmane de compromission avec l'ennemi parce qu'elle se paierait son voyage à la Mecque avec l'argent de la juive. Comme cet entourage l'accuse de ne pas respecter la religion, celle-ci vient chercher l'autorisation de son voyage auprès de l’imam de la mosquée. La résistance à la rumeur de la communauté contre elle se fait par le biais de l'autorité religieuse, portée par un homme. Ce qui va à revers du stéréotype de l’imam. Aussi bien que l'idée sans doute elle aussi stéréotypée et à déconstruire d'une émancipation.

Pour finir quoique j'en été très ému, je me pose la question de savoir si les jeunes femmes de cultures maghrébines font des études comme faire valoir de leur famille ou bien si au contraire ce n'est pas aussi bien et surtout pour elle la possibilité de s'émanciper de leur communauté. C'est un problème de fond et de développement personnel : pour qui s'affirme-t-on ? Je suis moi aussi "attaché" à la dimension mélodramatique dont l'axe principal est justement la question du lien. Du lien qui se défait et se refait. La question subsidiaire étant doit-on tous/tes se réconcilier ou rendre nos existences compossibles ?
On mesure la différence entre des séances où le réalisateur est présent et celles où le ressenti des spectateurs est au centre (les nôtres).