"Deux jours, une nuit" - Lundi 2 juin à 19h40 sortie au Katorza


Deux jours une nuit

(1h35min)

Réalisé par Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne

AvecMarion Cotillard, Fabrizio Rongione, Pili Groyne


NOS COMMENTAIRES

Avant le film les deux fées :

Michèle
Est-ce qu'il y aura un peu de musique, comme ils avaient fait pour la première fois avec " Le gamin au vélo" ? Telle est ma question...

Alain
Dans Télérama  : "On décèle, désormais, chez les Dardenne — parallèlement à l'apparition du soleil dans leurs films —, non pas un goût pour le miracle (le mot les ferait fuir), mais le reflet d'une transcendance possible." Parallèlement aussi à l'apparition de la musique ?

Après le film  d'autres fées :

Elise
Quelle humanité ce film !!! Sandra puise sa force auprès des siens (son mari et deux collègues) et petit à petit, ce cercle s'agrandit : Sa démarche va faire cogiter chacun de ses collègues et elle va y récupérer de la force, de l'espoir... Par leurs réactions, chacun à leur manière (même le sous-chef qui la rabaisse), ils vont lui permettre de se remettre debout : au fond, ce n'est pas le but qui compte, mais le chemin que l'on fait pour y arriver... Elle n'a plus de travail, mais elle revit...
Merci Alain et Michèle pour la programmation de ce très beau film... Marion Cotillard est sublime (mais ça c'est juste en plus... ) Et merci à Yannick, Françoise, Jacqueline et Marie-Françoise pour les échanges ensuite : c'était très sympa...

Michèle
Oui Elise, Sandra revit. Elle se trouve, elle est libre, libérée. C'est un conte initiatique ce film et, comme dans les contes, il faut passer des épreuves, se confronter aux autres qu'ils soient " bons" ou "méchants"; il faut aussi avancer dans le sens littéral du terme.
J'aime les répétitions de Sandra, comme une antienne; presque une formule magique; pour entrer en contact avec l'autre ; ça aussi, ça relève de la fabrication des contes.
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Ce film, tout comme "Rosetta" et les autres films des Dardenne, restera au fond de nous de manière indélébile. C'est leur force aux Dardenne de nous donner à nous voir, comme des naturalistes qui regardent les bestioles vivre... mais, malgré une apparente distance, ils sont proches des bestioles, ils en révèlent ce qu'il y a de beau, de grand, de fort en elles.

Alain
Ce film pousse au mysticisme, nos yeux s'étirent en amande. Nous étions au "cœur". Au cœur de notre société et de la façon dont on peut la vivre en esquivant comme on peut son processus sacrificiel. Et là ce "comme on peut" fait place à un "comme on veut" au final.
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Le mot "cœur" est employé plusieurs fois : à la fin quand elle dit au contremaître : "tu n'as pas de cœur" et le laisse dans la pièce, on la suit, on ne le verra plus : c'est implacable. Le mot "cœur" est employé par son compagnon quand elle descend de la voiture pour retourner au travail pour les élections concernant son sort : "haut les cœurs" lui dit-il. Ce sont des expressions que je n'aime pas d'habitude qui reprennent pourtant là de la densité, comme si on en revisitait le sens. Des clichés que l'on ne pense plus, reprennent vie. De même le mécanisme de victimisation de la société, le chômage, donné comme un mal naturel. C'est ainsi que Barthes définit le stéréotype dans "Mythologie" : l'idéologie qui fait passer les constructions collectives, pour des données naturelles.
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De même l'image finale quand elle s'éloigne, comme le vagabond créé par Chaplin nous en revisitons le mythe de façon singulière et donc plus universelle. Revisiter le verbe, le réinvestir, en proposer une nouvelle fraicheur, c'est le propre du poète. Si Jean-Pierre et Luc Dardenne nous livrent un poème de notre monde - le réinventent donc, c'est que leur personnage lui-même se réinvente. Nous assistons à sa création, à sa maïeutique pour rejoindre la dimension initiatique dont parle Michèle plus haut.
Son accouchement a plusieurs dimensions hyper émouvantes : 1- C'est l'effet du sort, du destin, comme dans Antigone - où il y a un versant noir et un versant lumineux dans le film - dans l'adversité le concours des circonstances est aussi favorable (le suicide raté par exemple). 2- C'est l'effet de son compagnonnage, le résultat de son couple formidablement humain dont on reparlera. 3- c'est l'effet bien sûr de sa propre ténacité, la façon dont elle s'élève depuis une fragilité qui fait que même accompagnée elle peut dire en position couchée : "je me sens seule" au côté de son compagnon. Elle est d'autant plus seule qu'elle est accompagnée.  4- C'est l'effet de l’institution, de l'entreprise, de son organisation 5- c'est l'effet de la communauté qui se crée à cette occasion, de l’équipe de travail qui grâce à son cheminement à elle se transforme en communauté.
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A l'inverse c'est aussi un travail de co-construction, c'est grâce à la décision au parti-pris de chacun et de chacune qu'elle peut assurer sa trajectoire au fur et à mesure. Sa réussite spirituelle rejaillit sur tous. Une se redresse tous se redressent. Il suffit qu'une y aille. Le peuple est là où chacun attend sur le bord d'un cercle virtuel que chacun y aille, fasse le pas. Nous la suivons pas après pas, elle qui actualise le cercle virtuel. Magnifique ! :) L'image finale pour moi a ce sens : c'est que seuls dans notre condition, nous sommes en position d’actualiser la communauté virtuelle, l'ensemble qui ne se fonde sur l'exclusion de l'un de ses parties. La proximité avec Chaplin, c'est que son personnage de vagabond est dans la position de la partie exclue et la renverse, selon l'axiome que nul ne peut prétendre à en faire l'économie. Ce que montre "Deux jours et une nuit", Il faut deux jours et une nuit pour renverser la position victimaire.
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Les Dardenne sont des poètes, des mystiques athées. Que le rock (ce n'est pas pour rien qu'il ont choisi "Gloria") et la chanson de Petula Clark puissent à cette occasion devenir des musiques spirituelles en est la preuve. Et répond à notre question initiale.

Nade
Merci à La Sagesse de l’image. Comme je disais en sortant de la séance : ce film est une parfaite illustration du "petit traité de manipulation dans l’entreprise"...! Mais pas que...

Michèle
C'est une belle histoire d'amour aussi... J'aime bien la façon dont est montré l'évolution du couple, les rapports qu'ils ont entre eux. Pudeur, tendresse, attentions. Un beau partenariat, solide et fragile à la fois. C'est très émouvant de les voir, voir les regards que porte le mari sur sa femme. La scène dans la voiture notamment, très belle au niveau plastique ( le grain de peau, l'attitude et le noeud du t-shirt; comme un papillon posé du l'épaule; de Sandra) et au niveau de la puissance émotionnelle. Ce couple qui tranche avec les autres ; toutes les femmes à la maison tandis que les hommes sont occupés dehors : au bistrot ou faisant mu-muse avec un ballon, un vélo ou une bagnole. Un seul est dehors pour une tâche domestique puisqu'il s'occupe du linge...
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J'ai été très émue tout au long du film, mais je n'ai à aucun moment pleuré. Mon émotion était comme bloquée, comme si je devais faire comme Sandra ; surtout ne pas pleurer, ne pas craquer. Tout mon être était tendu, happé par la quête. Sandra qui ne peut "devenir" que parce qu'elle va vers les autres, qui sert de détonateur aux autres en même temps ; mais qui revendique sa particularité et refuse toute forme de pitié. Elle le répète et dit à son mari : " Arrête de me protéger!". J'aime cette phrase, elle est l'expression de vie.

 Christian
Vous serez tous heureux de savoir que Petula Clark est née en 1932 et qu'elle est rentrée dans le monde du spectacle à l'âge de 7 ans, après avoir chanté durant ses plus jeunes années à l'église paroissiale. Enfin des informations réjouissantes dans notre monde plein de brutes. Bravo aux fins connaisseurs du monde de la chanson.

Alain
Sandra dit à Jean-Marc sa vérité : "tu n'as pas de cœur" et le laisse dans la pièce, on la suit. Le personnage, véritable arlésienne dont on n'a cessé d'entendre parler pendant tout le récit sans le voir, on le laisse ; en suivant Sandra, on ne le verra plus : exit Jean-Marc le contremaître, la sortie est implacable.

Je disais que le mot "cœur" prononcé souvent comme une formule ou une prescription morale, reprend vie. De même le signifiant "solidarité" qui n'est peut-être jamais prononcé, et dont le film dessine en creux la circularité, celle de la communauté virtuelle qui accouche d'elle-même à la suite de Sandra. La poésie c'est un acte de naissance. Nous re-naissons avec les images quand elle est présente. Thème platonicien : la maïeutique et le fait que le beau surgit du vrai. Et non pas du décoratif. La différence avec Platon c'est que la maïeutique chez lui est un acte d'amour à deux. Alors qu'ici le couple se réfracte depuis Sandra et Manu, sur les couples que Sandra va former avec chaque membre de son équipe de travail. C'est comme si le cercle la communauté qui se crée (auquel elle vient rendre hommage en les embrassant de façon tendre et chaleureuse), passait d'abord par un couple ou une parité originelle incarnée qui s'additionne ensuite et se réfracte. 

Critique presse ICI
 
"Marion Cotillard, transformée, remarquablement dirigée et pleinement investie dans son rôle, est une expérience bouleversante à vivre. Le cinéma des Dardenne, ancré dans le réel, sobre, économe de ses effets, fuyant toute facilité, atteint ici un degré rare de densité. On ne sort pas de ce film-là, on le garde en soi. " Arnaud Schwartz La Croix

Emission "Projection Privée" (entretien avec Luc et J-P Dardenne).