A ciel ouvert




Commentaire sur le film

« A ciel grand ouvert » n’atteint pas la même perfection que le film précédent de Mariana Otero. Le titre ne résonne pas aussi bien avec son sujet, ni même l’image de l’affiche.

L’originalité du film est de construire un entre-deux de la mise en scène et du dispositif clinique. Ce faisant le film devient une pièce du dispositif de soin, d'accompagnement, thérapeutique et analytique, plus qu'il n’en construit des métaphores ou des lignes de fuites. On est content à la fin de retrouver les codes du cinéma avec l’échappée dans les blés où la personne de l'enfant devient enfin une métaphore avec des couleurs saturée et une belle musique, tandis que le reste du temps on hésite entre laisser l’enfant dans sa pénombre ou bien l’éclairer (une oscillation entre métaphore et métonymie avec les moyens du bord).

Il s’agit d’un corps à corps au plus près de l'épreuve du dialogue avec ces enfants - suivre le langage corporel, gestuel, donc à l'interpréter pour trouver à construire avec eux un dialogue. Le spectateur se trouve au plus près d'un travail (d'un "sujet") ardu et peut suer avec l'avantage d'être en immersion au cœur de  ce travail.
Le dispositif importe plus que la qualité d’une mise scène minimale basée sur une l’alternance entre accompagnement et analyse - et d’un retour successif classiques entre les acteurs. Cette simplicité fait plus que de nous mettre en situation de témoin, nous sommes nous-mêmes interpellés à côté des autres acteurs, aussi bien les enfants, les éducateurs, que les analystes. Le fait que la caméra soit en ouverture du film mais aussi sans cesse interpellée et mise en jeu par eux , en est un indice supplémentaire.

Analyse de séquence :
Mais avec la séquence avec le big boss théoricien qui descend au charbon, nous retrouvons les conditions du cinéma, nos marques. Cette séquence de l'entretien public avec l'ado construit un espace complexe en miroir avec une topologie assez variée. Avec dans un premier espace les champs contrechamps des deux "personnages" (non plus simplement personne), chacun jouant sa partition dans le jeu de rôle  - ou dans un jeu d'échec ou le mat est l’horizon mais heureusement jamais atteint : là le Ciel ouvert est possible. Pour le coup c'est le miroir dans le miroir (normal au niveau de l'adolescence que cette mise en abyme où l'énonciation est toujours en décalage et en avant de ce qu'elle énonce, cette mise en spectacle où l'ado se voit en train de jouer sa partition. D’autre part, autre espace, les autres intervenants deviennent en tant que spectateurs actifs, nos représentants par leur sourire leur étonnement leur compréhension (un autre espace en reflet). Nous retrouvons là le cinéma en sortant de la métonymie dans laquelle nous étions avec/à côté d'eux pour rentrer dans les conditions de la symbolisation. Dans ce contexte où cette symbolisation est aussi le travail à l’œuvre de cet ado, il se voit lui-même à la fois joué comme un jouet, et jouer comme l'acteur de sa vie. Et Otero construit bien cela : Nous voyons l’ado se voir dans les plans sur lui où parfois il la regarde en face, avec il me semble des "inserts" où il est interrogé après l’entretien ; dans le contrechamp de son interlocuteur qui de ce fait construit une dimension dramatique, et de suspens, on pourrait dire qu’il oscille dans sa position entre l’Autre et le semblable, aussi bien pour l’ado que pour nous , parce que  nous sommes mis A LA PLACE de l’ado ; enfin un dernier contrechamp en montage alterné ramasse et diffracte les conditions du drame et de l’émotion de ce premier jeu de ping-pong, celui de tous les intervenant(e) qui les regardent comme au spectacle sur une scène. Dans cette mise en scène le cinéma joue de nouveau à plein sa partition et nous reprenons c'est le cas de le dire du champ - que nous retrouvons dans les blés comme résolution dramatique.

Il faut louer la qualité de vulgarisation de ce documentaire associé à un livre intéressant qui éclaire de façon claire le sujet. Pour reprendre ce que j'ai effleuré : le fait que Otero crée quand même des métaphores dans la position métonymique de sa caméra : par exemple de façon au moins deux fois répétées où elles éclairent les « personnages » dans la pénombre des chambres, pour les mettre en lumière en tant que personne. Un jeu entre énoncé et énonciation, où la mise en scène rentre dans le sujet.

Ce qui démontre que dans les conditions comme ici d'un filage métonymique - de "la partie" caméra "dans le tout" du dispositif thérapeutique -, il y a toujours un revers métaphorique, des points où la donne trouve à se ramasser, le sujet à se figurer. D'où l'intérêt de la méthode clinique que l'on voit à l’œuvre de filer avec le filage du sujet, que Mariana Otero a peut-être repris en miroir dans son cinéma, par intérêt ou projection sur son sujet.

En résumé, on a le sentiment que de son contenu qui échappe Mariana Otero n'a su que faire. La métaphore est filée, versus la métonymie est imagée. Et si on revient au départ, le ciel est trop ouvert, la figure a du mal à trouver son contour. On voit la différence d'avec le titre et l’affiche d'"Entre nos mains" où l'oscillation entre métaphore et métonymie est parfaitement équilibrée entre le cinéma et son sujet. Le titre de son avant-dernier film raisonne dans les deux directions, les mains de la couturière avec la métaphore de la reprise en main de l'usine par les ouvrières et de la reprise en main de leur destin. Tandis que pour "A ciel ouvert" dans l'image de l’affiche, la petite dont le visage est clivé par sa main en deux, est livrée à une indétermination : il y manque du trait pour symboliser le point noir, la tache aveugle dont le point focal se dilue dans l'espace ou y est contredit. Le sujet est écrasé par son ciel. Le film tente de se soumettre à l'image de son sujet plus que son sujet n'est mis en scène par l'image. A l'inverse au ras de son sujet l'avantage c'est la caméra capte des nuances des variations intéressantes. Une m'a frappé où l'on voit s'assombrir sans raison et subitement le visage de la petite fille joyeuse, comme si la profondeur du sujet s'y creusait.

Après coup : de la critique des Inrocks, moins réservée sur la mise en scène, que la mienne  ICI,  je retiens la chute : "La méthode ciné de Marianne Ortero est cousine de celle des psys du Courtil"

Alain Arnaud,  "La sagesse de l'image"