Pour parfaire notre connaissance sur les rapports du cinéma à l'histoire récente du Japon
Rapsodie en Août 1991
Scénario, réalisation et montage d’Akira Kurosawa
avec Richard Gere…
1h38
Akira Kurosawa après « Rêve » revient sur un sujet qu’il avait déjà mis en œuvre dans « Vivre dans la peur ».
Commentaires après la séance
Nade
Du passage... (cette notion de "seuil" que tu
évoquais Alain)... et de la médiation (dans ses 3 acceptions)... entre l
horreur des évènements et le "sacré" de la vie... J ai perçu beaucoup
de douceur et de poésie dans cette façon de traiter une question aussi lourde
et grave !
Elise
Un film émouvant... J'ai apprécié le lien entre la
grand-mère et ses petits-enfants... Et comment ils s'approprient l'histoire de
leur grand-père et s'en sentent responsables : la grand-mère raconte ses
souvenirs et les deux plus grands expliquent aux deux autres, comme une
passerelle pour le souvenir... Et je repense à la notion de "devoir de
mémoire" : bien sur qu'il ne s'agit pas de "devoir" lorsque la
grand-mère raconte : c'est un témoignage et une évidence pour elle : elle
transmet... L'attitude des deux aînés, par contre, se rapproche de ce
"devoir" : ils expliquent, quelque chose qu'ils n'ont pas vécu, aux
deux plus jeunes... Pour qu'ils n'oublient pas et puissent un jour transmettre
à leur tour...
J'ai aussi eu un gros coup de cœur pour la séquence de la
commémoration : lorsque l'attention de l'enfant est attirée par une colonie de
fourmis qui s'activent et prennent possession de la tige puis de la rose : une
très belle image... Oui, tout à fait Nade, ce film est à lui seul un très beau
poème... D'où son titre...
Alain
Effectivement j'aime bien cette tension du film entre gaité et gravité. J'ai dû
mûrir depuis ma première vision où le film m'avait déconcerté. Sans
doute parce qu'on sait que la Shoah, Hiroshima et Nagasaki sont les sujets les
plus graves, le négatif de l'histoire humaine. La grand-mère a raison de s’insurger contre l’amnésie telle
qu'elle l'exprime n'est pas naturelle mais voulue. Ce n'est pas qu'on ne fait
pas attention à se rappeler c'est que volontairement on met de côté : ce n'est
pas pareil. Le sacré c'est de prêter attention à ce qui existe et qui est
vivant (la séquence des fourmis). l'oubli en soi n'est pas néfaste, c'est aussi
un atout. Pour oublier il faut accueillir les expressions des fantômes encore
vivants. Le négationnisme l’amnésie
contrainte ne sont pas l'oubli au contraire. Du coup ils s'expriment à notre
insu. ba ba du chamanisme dont la psychanalyse selon moi fait partie.
Le passage de la ville à la campagne est ma séquence
préférée. La campagne est associée aux forces spirituelles, ce qui sauve. Les
enfants se la réapproprient ainsi que leur grand-mère après leur saut en ville. J'aime beaucoup ce
retournement émouvant, quand il reviennent de la ville ; la grand-mère inquiète
est toute joyeuse de les revoir et eux font des mines graves qui l'étonne. Dans
ce passage d'un plan général où on les voit de loin dans les rizières au
crépuscule dans ce damiers dans les verts les gris, les noirs, elle toute
petite mais comme l'élément qui compte, comme déjà un aperçu de la séquence
finale. Il y a comme une soudure cosmique du plus lointain au plus proche, des
générations entre elles , des humains et de la nature. C'est une rencontre :
Ils viennent à la rencontre es uns des autres par le détour du réel de la ville
et de l'Histoire. Puis-je extrapoler et dire que nous nous rencontrons par le
réel ? Celle qui a vécu le trauma est joyeuse, ceux qui en prennent conscience
grave : et c'est là que le partage commence. La famille naturelle se recompose
devient vivante et réelle. (Winnicott a cette définition de la santé : se
sentir exister).
Ils vont dans cette séquence les uns vers les autres tandis
qu'à la fin ils courent tous après elle, (après sa folie qu’ils savent
peut-être salvatrice ? la métaphore est ouverte. )
M’intéresse que la vérité dans le film et chez les japonais
ne s'oppose pas à la fiction, dans le film d'un côté les traces objectives de
l'autre ce que les témoins ont fait de l’événement. ela définit l'art et le
geste de Kurosawa. D'un côté il fait surgir des histoire de la vérité, de
l'autre côté il met en histoire la vérité.
Commentaires avant le film
Abandonnant le combat épique de samouraïs, le film noir ou d'action, il n'est pas certain que Kurosawa se soit assagi
sur ses trois derniers films (Rêves, Rapsodie en Août, Madadayo). Ce dernier, déjà est une réflexion
sur la vieillesse qui n’est pas exempte d’autodérision. Pour le premier, dans le rêve "les corbeaux", le peintre est pris dans la folie de ce qu’il voit, parce que ce
qu’il voit le regarde à son tour - le personnage de Van Gogh en prise avec la création comme un vortex. Le soleil, la réciprocité du regard et
réciprocité du rapport à la nature qui nous entoure et à laquelle l'artiste participe sous le mode de la machine ou de la bête humaine ? La sagesse s’obtenant au bout de
la folie. A soutenir l’insoutenable, le regard tendre, qui soutient le réel, se
déploie à proportion, qui n’a rien à voir avec la tiédeur du monde moderne
( tiédeur représentée dans "Rapsodie" par les parents. La folie de la grand-mère dans Rapsodie,
elle parvient à la faire partager à ses petits-enfants; le monde serait-il
sauvé, n’est-ce pas le monde qui
est fou ? Mais qu’est-ce que le monde si ce n’est une même folie à
laquelle les personnages participent parce qu'ils sont de cette famille-là et à Nagasaki touché par l'événement dont l'allégorie est cet œil qui regarde, l’œil de l'éclair qui frappe que le frère de la grand-mère ne cessait de dessinait dans la claustrophobie de sa chambre ?
Pour Kurosawa la luminosité se révèle à partir de sa partie la plus obscure. Le sens du tragique rejoint le grotesque, la tragédie rejoint la comédie et le rire joyeux joints les enfants à l'aieule qu'ils avaient au début de leur séjour chez elle ringardisée. La tendresse infinie rééquilibre la cruauté à proportion de sa puissance de cruauté, à proportion de l'insoutenable elle étend une caresse depuis le lien familial au bout de l'univers. Le lieu de culte comme flottant sur l'herbe est à l'image d'un radeau flottant dans l'univers paisible. L’humain doit-il être surmonté ? Ici il est plutôt exhaussé en beauté ; "dans la boue une étoile est née", constante le peintre du film "Scandale" (1960). Une étoile dansante et gaie à la place de l’œil grave et terrible de l’événement. Alain Arnaud
Pour Kurosawa la luminosité se révèle à partir de sa partie la plus obscure. Le sens du tragique rejoint le grotesque, la tragédie rejoint la comédie et le rire joyeux joints les enfants à l'aieule qu'ils avaient au début de leur séjour chez elle ringardisée. La tendresse infinie rééquilibre la cruauté à proportion de sa puissance de cruauté, à proportion de l'insoutenable elle étend une caresse depuis le lien familial au bout de l'univers. Le lieu de culte comme flottant sur l'herbe est à l'image d'un radeau flottant dans l'univers paisible. L’humain doit-il être surmonté ? Ici il est plutôt exhaussé en beauté ; "dans la boue une étoile est née", constante le peintre du film "Scandale" (1960). Une étoile dansante et gaie à la place de l’œil grave et terrible de l’événement. Alain Arnaud
"L’œuvre de Kurosawa,
composée de multiples facettes, se situe à l’intersection de différents
courants de goûts. Ceux qui voient en lui un humaniste (André Bazin notamment)
privilégient Vivre, et se retrouveront autour de Barberousse, Dersou Ouzala,
Dodes’ Caden, tout en tenant pour divertissement mineur Yojimbo, La Forteresse
cachée, Sanjuro. Ceux qui aiment les films de samouraïs et de sabre pourront
trouver un peu solennelles les grandes fresques historiques comme Le Château de
l’araignée, Kagemusha ou Ran. Il existe plusieurs entrées, plusieurs parcours,
plusieurs communautés cinéphiles disparates à se reconnaître au sein de l’œuvre
de Kurosawa, dont certaines peuvent fusionner et d’autres continuer de
s’ignorer. Cette hétérogénéité fondamentale entre la part noble (le peintre et
le visionnaire, l’art et le chaos, l’humaniste, les grands écrivains adaptés)
et la part populaire, grand public, triviale, carnavalesque, voire grotesque
(Mifune en demeure la plus belle expression), continue de rendre son œuvre
vivante." Charles Tesson Le monde.