Take Shelter

Un film de Jeff Nichols 2011

Pour  :  Le commentaire de Alain 

Cinéma, délire et réel
Malgré ce que le film a de contestable dans son propos, il est au centre de la menace qui pèse sur "nous". Hier j'ai dit après l'avoir vu qu'il porte au débat. Et pourtant je suis resté dans la discussion muet comme une carpe. Sans savoir si le film décrit la carpe prisonnière dans son bocal étroit (de la folie de l'espace protecteur - foyer maison famille  -  ou bien dans un espace ouvert.
L'espace," L'ouvert", l'"Autre", l'extériorité, l'intuition, la prémonition, la vision, et tout à la fois la menace, le danger. Et si ce danger justement était ce qui pouvait nous arriver de meilleur. (Je déteste les notions d’apocalypse).

Ici la vision se confond avec ce que l'Amérique a de plus négatif. La sensation d'oppression fait penser un peu à celle ressentie dans le film Tom Boy, avant que la vérité n'éclate. L'art, le cinéma délire le réel, tout comme la littérature. Nous n'avons pas le choix,  pour nous créer une réalité nous délirons le réel.

Il y a un "nous" du réel et un "nous" de la réalité construite -  qui à se construire doit aussi être déconstruite pour laisser la place. Le réel est tout à la fois création et destruction. Dans une vision certes un peu lapidaire et simpliste, je vois le capitalisme comme un système clos et ouvert. Ouvert au sens de dévorateur. Ce qui clôt son cercle, c'est qu'il est le système de quelques uns qui s'applique à tous.

Il y a un "nous" de l'abri et un "nous" de l'espace ouvert comme dans ces deux images du film. Un "nous" du ciel, un de la Terre? Mais au fond on ne sait où est la menace.

On n'a pas fini de délirer ce film. Il y a quelques mois j'ai fait un rêve de la fin du monde. Qui ressemblait à un tsunami géant. Nous étions à la fin tous saufs, mais le phénomène naturel gigantesque nous faisait paraître comme des puces, de bien frêles esquifs.  Je ne peux pas m'en débarrasser.  Traumatisme et effroi.

Ce film n'est pas très éloigné de "La guerre des monde" de Spielberg sur une thématique de menace de la famille amèricaine (le "berceau du monde"? ). Juste une dizaine d'année pour les séparer : "the times are changing".

PS  : A propos de ce titre d'une chanson de Dylan : Très justement Corinne Lepage sur France-culture disait aujourd'hui que nous n'étions pas entrée dans une crise mais plutôt dans une autre époque.

Alain A.



Contre : Le commentaire de Michèle:

J’ai lu quelque part une critique où il y avait une référence à Melancholia ; je ne suis pas cette analogie. Même si nous suivons la menace dans Melancholia en en ressentant tout le malaise et le sentiment d’oppression ; même si la famille, les conventions sociales etc participent à ces sentiments ; Melancholia a le pouvoir de sublimer cela. D’abord on rit, ensuite on pleure et on assiste à l’apocalypse, on la vit ; et cette apocalypse a un pouvoir salvateur… une idée de renouveau qui n’existe pas du tout dans Take shelter.


Dans ce film on est dans la sueur froide, le gluant du sang, l’angoisse et le non-dit permanents. On est manipulés par la « folie » grandissante du héros qui se liquéfie et a des sursauts de vitalité cependant. Il se protège; même maladroitement. Ce qui ressort de ces tentatives c’est que non seulement il cherche à se protéger lui-même en souvenir du sentiment d’abandon qu’il a connu par le passé mais qu’il cherche à protéger sa famille. Pourquoi protéger sa famille ? Parce que en tant qu’homme, c’est son devoir ? Ou bien parce que justement il ne veut pas faire vivre à sa fille ce qu’il a lui-même connu au quasi même âge et dont il ne s’est jamais véritablement remis ?


Dans ce dernier cas, la raison est plus recevable bien qu’ayant un aspect égoïste ; en tout cas elle me touche plus.. Protéger la famille, sa fille pour se sauver soi-même est une réflexion plus intéressante à mes yeux. Sans doute parce qu’aveuglé par cette obsession, Curtis court le risque de ne pas pouvoir payer une opération ô combien bénéfique pour sa fille à laquelle il ne cesse de répéter je t’aime ». Cette folle incohérence m’a plu. C’est dans cette incohérence que Curtis sort du moule, de cette horrible communauté que tout être sain d’esprit devrait avoir envie de fuir… Il fuit, il devient jugé comme hors norme et incontrôlable. Là, quand il crie sa rage d’être incompris, je le trouve raisonnable. Le seul être sensé parmi la foule de fous, fous d’être aveugles ; des aveugles consentants par peur de tomber du vélo en cessant de pédaler ; même si la direction n’est pas la bonne. Curtis s’indigne. Il a raison, il cristallise nos angoisses, nos grandes frayeurs d’hier et d’aujourd’hui. Et si nous faisions fausse route ? Les menaces sont bien réelles ; économiques et écologiques. Tout le monde le sait maintenant. Qui écoute les fous ? Ceux qui veulent protéger, sauvegarder ? Ne sont-ils pas encore pris pour des doux rêveurs ? Ou bien des terroristes à mettre en prison, à faire taire ? Le film a de l’intérêt en cela pour moi ; la vraie question étant : qui est fou ? Il m’a mise mal à l’aise car la montée en puissance de Curtis est habilement menée. En revanche, les ficelles sont grosses, la fin prévisible donc décevante.


Une question encore : si Curtis n’avait pas ce désir impérieux (imposé) de sauver ceux qu’il aime et qu’il se doit en tant qu’homme de parvenir à faire ; serait-il devenu fou ? S’il avait été seul, ne se serait-il pas laissé aller à la folie, ne cherchant pas à y échapper, à se sauver ? Qu’est-ce qui fait que nous restons debout, tout en étant fragiles ; qu’est-ce qui fait que nous sommes inquiets, qu’est-ce qui génère angoisses, insomnies, cauchemars etc. ? N’est-ce pas d’être liés ? Être entourés de personnes que nous aimons et qui nous aiment ou qui comptent sur nous ? C’est peut-être là le cœur du film : c’est cauchemardesque d’aimer et d’être aimé car cela engendre devoirs et obligations, soutien mutuel « obligé » hélas…

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