Réalisé par Robert Guédiguian
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin ...
durée 1h47
Commentaires après la sortie :
Alain :
Guédiguian - avec son équipe - est parvenu à maturité. Le moment où face à l'inconnu, l'inattendu, au chaos, il peut rester debout, nous faire partager son étonnement. Grand comme celui de Jean Renoir.
Et je vois en commun entre les deux réalisateurs un goût pour le théâtre, et pour la vie, les mouvements progressistes, en deux sens : écriture dramatique et mise en scène des comédiens. Les personnages sont forts, leur incarnation par les acteurs, extraordinaires. Le personnage du "délinquant" aussi. Son cri, sa révolte, résonneront aussi longtemps que la bonté insensée de ces gens. Avoir laissé ouvert les deux pôles de la pulsion de vie et de mort sans les résoudre l'un par l'autre. Ouverte la question.
Quelque part Guédiguian rejoint les propos des grands moralistes hors des conventions morales. Je pense à aux siècles classiques puis au cinéma de Robert Bresson d'après Bernanos (Et à "L'argent" aussi.
Le film questionne plus peut-être sur la bonté que sur l'origine du mal - à laquelle il donne à la fois une explication "de gauche" et à la fois laisse dans l'ombre l'inexplicable : le deuxième comparse de la scène violente que l'on entrevoit à peine, un personnage dans un étrange métissage.
La puissance d'allégorie du film est aussi formidable que sa façon de magnifier le concret de la vie. Là est sa force. C'est une réflexion sur bien des aspects et thématqiues qui nous concernent, mais aussi sur l'âge, le temps qui est passé. Sans amertume. Bref une grâce, le paradis au milieu de l'enfer (La séquence du barman poète l'exprime qui ouvre un espace de création donc de respiration (au sens propre et figuré) comme le dit le personnage incarné par Ariane Ascaride.
Peut-être avons-nous avec la pression qui monte que ce choix de retrouver partout la puissance poétique, de réinvention - d'apporter des réponses inouïes et pourtant à notre portée. "Pourquoi des poètes en temps de détresse ?" Ce qui a changé entre les époques depuis cette phrase de Holderlin c'est la déception communiste. Dans le film pourtant cette decption ne conduit pas au désenchantement, à la séduction que l'on voit en filigrane de l'extrême droite. Après l'illusion, la mystification, le détournement de l'idée communiste, il y a encore une exigence, quelque chose qui peut encore tracer des lignes ouvrir l'horizon, plus que jamais. On retrouve ça chez Ken Loach.
Je fais cette hypothèse : "des réponses inouïes et à notre portée" : c'est ce dont les politiques, dans les institutions actuelles, nous détournent. Et les gens en ont assez. L'enjeu est d'inventer une autre révolution. Qui ne soit pas un simple renversement/remplacement. C'est finalement ce qui se passe à la fin du film : si on laisse filer la métaphore : la famille de Guédiguian, c'est peut-(être le pays). Des solutions sont trouvées sans que la famille disparaisse, d'ouvrir la famille à d'autres. C'est une sacrée brèche contre le corporatisme. Le corporatisme a été le seul moteur politique et social depuis des siècles. En face du chaos on peut imaginer un autre rapport au vivre ensemble que la seule imposition de quelques uns pour tous : dans le film, le choix du tirage au sort pour décider de qui serait licenciés.
Un avis de spectateur
:
Articles de la presses spécialisée :
Les Inrocks
Avec Les Neiges du Kilimandjaro, Robert Guédiguian retrouve ses pénates (après l’assez peu réussie fresque historique L’Armée du crime).Nous revoici à Marseille, avec des visages familiers et un format plus modeste de série B. Mais, loin de constituer un retour à la routine, le film est un des plus vibrants de son auteur.
Elire une troupe d’acteurs et lui être fidèle, c’est à un moment donné rendre visible son vieillissement, et le film est très beau sur le passage du temps. Le temps qui passe, ce n’est pas seulement la mort qui travaille.
C’est aussi quelque chose qui s’est déposé, se dépose encore et lie ces époux amoureux après trente ans de mariage. Guédiguian fait le choix d’un portrait idéalisé de la douceur de vivre des vieux compagnonnages (conjugaux, amicaux, familiaux), de la douceur de vivre de la petite bourgeoisie, ses apéros entre amis, ses week-ends en famille avec de grands et de petits-enfants, ses chamailleries qui sont encore des signes d’amour.
Tout cela est émouvant, parce que très fiable, cerné par un grand danger de débâcle économique, qui dès la première scène, découpée en thriller, dépose un germe de menace dans le quotidien charmant de la petite communauté qui se pensait à l’abri.
Cela est aujourd’hui mais est filmé comme presque déjà hier.
La petite-bourgeoisie, ce n’est plus qu’une toute petite embarcation flottant sur un océan démonté, et dont de plus en plus d’exclus tombent, au risque de la noyade. Et certains, pour ne pas se noyer, s’accrochent, quitte à faire chavirer d’autres occupants du radeau.
Un des plus beaux coups formels de ce film, où la mise en scène est peu tapageuse mais toujours précise, c’est une scène de hold-up domestique, dans laquelle on entre avec les victimes (nos petits-bourgois aimables) et d’où on ressort avec le braqueur.
Cette bascule du point de vue est forte comme le brusque retournement d’une manche permettant de voir en un éclair l’endroit et l’envers d’un même tissu social.
La tension de la scène chute, mais aux côtés de celui qui l’a brutalement provoquée : Grégoire Leprince-Ringuet enlève sa cagoule, range son flingue, puis prend calmement le bus, rentre chez lui et réintègre un quotidien finalement proche de ses agresseurs (mais en nettement plus pauvre).
Ces gens auraient dû vivre ensemble et un ordre économique les a dressés les uns contre les autres. C’est le mérite du film de l’incarner aussi fortement par les moyens du cinéma.
Télérama
Pas de faux-semblant chez Robert Guédiguian. Lui et sa
troupe d'acteurs fidèles approchent l'âge de la retraite, alors le film parle
de ça : de ce moment où les prolos marseillais que le cinéaste met en scène
depuis 1981 (Dernier Eté) vont enfin se reposer. La conscience
tranquille, croient-ils, après des décennies de travail pénible et de
syndicalisme. Marie-Claire (Ariane Ascaride, bien sûr), et Michel (Jean-Pierre
Darroussin, évidemment), déjà grands-parents, feront même un voyage en
Tanzanie, cadeau de tous leurs proches réunis. On s'en réjouit pour eux, il n'y
a pas que les riches qui ont droit au bon temps.
Et puis, coups sur la tête, au figuré comme au propre.
Le film, avec ses airs de chaleureux pot d'adieu, prend soudain un goût de sale
fait divers - agression, vol à main armé. Ce virage au noir détonne d'autant
plus qu'on n'est pas dans un polar revendiqué, façon La ville est tranquille
(2001) ou Lady Jane (2008). Cette fois, la violence ne découle pas d'un
genre de cinéma, elle fait irruption dans un tableau solaire à la Marius et
Jeannette (1997), où rien ne l'annonçait. Elle rattrape des personnages
familiers, quotidiens, qui n'étaient pas programmés pour lui faire face. Le
suspense portera bien moins sur les résultats de l'enquête que sur la réaction
des agressés.
Meilleur Guédiguian depuis une petite décennie, Les
Neiges du Kilimandjaro est un passionnant film de crise, où les repères des
héros s'effondrent, mais aussi les catégories sociales décrites par le cinéaste
dans toute son oeuvre. « Comment peut-on s'en prendre à nous ? se
désespère Marie-Claire, et dans quel monde vit-on ? » Coup de tonnerre
que d'entendre une femme de gauche dévouée, emblématique de l'univers de
Guédiguian, avouer son découragement, sa peur soudaine d'autrui. Son
sympathique beau-frère (Gérard Meylan), victime également de l'agression, en
devient, lui, un vrai beauf, aux imprécations dignes du Front national.
Mais au fait, oui, dans quel monde vivent-ils ? Ce côté
de Marseille - l'Estaque comme toujours chez Guédiguian - évoque, à l'écran,
autant un chantier à l'arrêt (des grues partout, mais pas de travail) qu'une
charmante station balnéaire propice aux sardinades. Marie-Claire et Michel, la
modeste aide à domicile et son mari en préretraite, se sont fait attaquer et
dépouiller comme des petits-bourgeois qu'ils sont peut-être devenus. Cette
classe ouvrière d'autrefois est désormais assimilée aux nantis par de plus
pauvres qu'eux. De quoi atteindre le couple au plus profond et de sa fierté
prolo et de sa conscience politique - Michel s'était fait licencier pour sauver
l'emploi d'un autre. Quelle valeur a désormais le petit confort conquis durement
?
L'identification du voleur, puis de ses mobiles,
ajoutera encore au désarroi. En admirateur de Jean Renoir, Guédiguian pourrait
reprendre à son compte la formule de La Règle du jeu : « Il y a une
chose effroyable, c'est que tout le monde a ses raisons. » Les Neiges du
Kilimandjaro, d'une terrible actualité, reflète un monde où, qu'on soit à
l'abri du besoin ou non, il n'est plus possible d'ignorer la misère autour de
soi. Faut-il s'en préserver ? S'en indigner ? Le film dessine un parcours
tortueux qui va de la bonne con-science à, non pas la culpabilité, mais l'élan,
l'action. La plus grande scène est sans doute ce face-à-face, dans les locaux
de la police, entre Michel et son jeune agresseur : le quinquagénaire entre
dans la pièce avec ses derniers restes de certitude d'être « l'homme bien ». Il
en sort les épaules voûtées, dans une humilité imprévue, absolue. Mais aussi
comme ranimé de l'intérieur, rendu à ses émotions les plus essentielles.
Les Pauvres Gens, poème de Victor Hugo (dans La
Légende des siècles) a été la source d'inspiration du film. On n'en
rappellera pas la chute, qui est aussi celle du film, mais le thème : la bonté.
Une valeur que la dureté des temps n'incite guère à mettre en pratique. Le film
montre qu'elle peut même devenir socialement inacceptable : à travers les
enfants de Marie-Claire et Michel (Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet), crispés
sur le très maigre patrimoine familial, Guédiguian en dit long sur les ravages
du déclassement dans nos sociétés. Sa deuxième génération de personnages, toute
à sa survie, n'a plus les moyens d'être altruiste. A peine ceux d'être honnête.
Question subsidiaire, mais capitale : la bonté est-elle
cinématographiquement acceptable ? Alors que tant de films, aujourd'hui, se
vautrent d'emblée dans les bons sentiments, au risque de la nausée, celui-ci
rappelle que la générosité n'a d'intérêt romanesque que dans la dernière ligne
droite : à l'issue d'un cheminement, comme une caresse là où on attendait un
coup. Bref, quand elle est l'expression d'un choix, d'une liberté.
Quant au titre, il vient d'un tube des années 1960 - de
Pascal Danel - cher au coeur des deux héros, sans doute symbole pour eux
d'idéal et d'espérance. Guédiguian, lucide mais joyeux, y croit encore. Il
cite, via un personnage, un fameux discours de Jaurès sur le courage et la
nécessité d'articuler sa vie avec celles des autres. Les neiges du Kilimandjaro
sont la lune qu'on ne décrochera pas, le pays où l'on n'arrive jamais. Mais le
film voit plus loin, vise plus haut : ici et maintenant.
Inscription à la sortie
par téléphone 02 51 13 67 15
ou email lasagessedelimage@free.fr
Numéro de portable : 06 58 76 69 05
Rendez-vous devant le cinéma Rue Corneille Nantes
ou à l'intérieur s'il ne fait pas beau Katorza
(seule contrainte merci
d' amener la monnaie exacte de 3,5 euros car nous faisons un seul chèque à la
caisse).
TARIF : 3,5 euros